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Monter, descendre ... ça glisse pareil.
25 novembre 2013

La piscine

Il est 10h00 l'heure d'aller à la piscine. Je jette un coup d'oeil par la fenêtre un monsieur d'une soixantaine d'année passe sur le trottoir d'en face, comme pour appuyer mon idée il est vêtu d'une chemise à manches courtes, bleu clair, un pantalon de toile gris des chaussures à lacets marrons. Ses cheveux sont blancs comme neige. J'ai envie de pleurer, mais ça serait trop facile.


C'est l'heure d'aller à la piscine, mon maillot est encore mouillé de la veille, je ne peux pas le remettre, ça fait mal au ventre si on met un maillot mouillé. J'adore aller à la piscine, les piscines publiques sont mon royaume. J'en connais tout, le bruit des portes des vestiaires qui claquent, le bruit des douches, mon pas qui martèle le carrelage, le bruit de l'eau, les gens qui plongent, les enfants qui crient. Je m'allonge sur le ventre sur ma serviette, me faire dorer au soleil. Je cache ma tête dans mes bras et j'écoute les bruits que font les gens dans l'eau. Je me paye des vacances pour 6 balles, des vraies vacances, un endroit ou plus rien n'existe que ce qui m'intéresse, que ce que je connais, que ce qui me rassure.


Je suis réglée comme du papier à musique. Au bout d'une heure et quarante cinq minutes je commence à m'agiter. Mon grand père va venir me chercher. Mais c'est un vieux réflexe. Pendant des années tout les matins l'été mon grand père nous emmenait à la piscine. On y passait deux heures montre en main. Arrivés dès l'ouverture on repartait à la fermeture de midi. Allongée sur ma serviette je repense à tout ça, je le revois. Le  trajet retour affamée on grignotait des biscuits secs et le repas de midi à l'arrivée était un vrai régal. Tomates fraiches, melon, grillade. Toujours au début de l'été je vérifiais mon bronzage. C'était moins une coquetterie que la hâte de reprendre ma couleur normale. Je suis restée comme ça. Avide de vacances et  de soleil. Mais pas n'importe quelles vacances. Des vacances à la piscine.



Un jour j'ai réalisé qu'il n'y aurait pas de deuxième round. Que la disparition de mes grands parents était réelle, je ne les verrais plus jamais, vraiment. J'avais cru apparemment à une punition, à un truc avec lequel lutter encore une fois. Si j'étais sage, ou silencieuse ou rien du tout peut être que si j'arrivais à quelque chose je serais renvoyée au pays des merveilles. Un pays ou les  grands parents ne meurent jamais vraiment. J'attendais la suite, car il y aurait une suite un retour arrière peut être je ne sais pas. Je ne sais pas exactement ce que j'attendais. Que la souffrance s'arrête grâce à un coup de théâtre. Un jour j'ai réalisé que c'était fini. Fini vraiment. Tout ça fini. Quelque chose s'est écroulé, encore, mais ce coup là je savais que c'était définitif. Comme le Bangladesh qui s'effondre dans la mer et quand on regarde ces grands pans de terre disparaître on sait que c'est irrémédiable, inéluctable.


Cette vie là complétement bizarre n'était pas l'antichambre de l'enfer, ni même l'enfer, ni même une voie de garage pour les gens qui ne font que se tromper dans la  vie. Ce truc là maintenant en équilibre instable qui tournait sur lui même comme une toupie increvable n'était pas cette vie quelque chose d'irrationnel et d'inintéressant qui n'avait rien à voir avec moi et dont j'attendais patiemment que les noeuds se défassent mais bien ma vie. Un truc qui me concernait. Dans ma vie il n'y a pas de grands parents.



Après avoir changé de couleur de cheveux j'ai changé de prénom. Et puis je suis partie, vraiment pour une fois. Partie pour toujours. N'habite plus à l'adresse indiquée. Plus jamais. Comme une épitaphe à quelque chose d'enfin disparu ma mère m'a rappelé à quel point mon grand père m'aimait. Comme il m'aimait d'une manière exclusive et inconditionnelle et loin d'être juste pour tout ses petits enfants cet amour là ne s'adressait qu'à moi.


Je regarde le mec passer sur le trottoir d'en face. Mon grand père s'habillait pareil. Exactement pareil, jusqu'aux chaussures, tout y est dans les moindres détails. Mais ce n'est pas mon grand père c'est celui de quelqu'un d'autre. Ce n'est pas grave. Mon grand père ne m'a jamais laissée tomber.
C'est l'heure d'aller à la piscine. J'attends et je n'ai plus peur, même pas de vivre. Même pas de vivre sans lui.  De toutes façons un jour mon grand père viendra me chercher et enfin, on rentrera à la maison.


(18/8/2009)

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