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Monter, descendre ... ça glisse pareil.
2 octobre 2010

Fanfan

Je lui raconte, elle me connaît comme sa poche et me fait un sourire de connivence quand je prends l'air innocent pour lui dire que bien sur j'ai raconté comment mon DG m'a fait un au delà du gringue à l'Homme. "Il est jaloux." Elle conclut.

Bon ok. On ne dira pas que j'ai raconté ça vraiment exprès, ce sont mes hormones qui m'ont poussées. Un long silence terrible a suivi....j'aurais pas voulu être à la place du malotru qui a osé me demander mon numéro de portable. Et puis il s'est matérialisé sur le paillasson. Rassurer l'orpheline, mettre son odeur partout sur moi, que tout mâle alentour sache bien ce qu'il encourt.


Son mari à elle est aussi jaloux, elle me dit qu'il s'est un peu calmé quand même. Après avec la vie de couple on se fait confiance. A tort, certaines dorment rassurées dans les bras d'un tant aimé, adoré, admiré. Quelques heures avant j'aurai bien pris soin de lui donner le gel douche qui ne sent pas la fille. C'est la vie, c'est comme ça, ça m'arrivera aussi.

Ça m'arrivera aussi la vie, mais c'est pas moi qui lui tiendrait la main aux pires moment et ce n'est pas à moi qu'il pensera, ni moi qu'il réclamera à la fin. Ce n'est pas moi toute cette vie qui est la sienne. Ce n'est pas moi qui dirait comme Dom dit de son mari : "dans quelques mois je l'emmène et on disparaît."

A partir de là quelle importance le gel douche, les capotes, les sourires avec des autres qui ne seront jamais l'importante, la dernière, la seule dont on se souviendra plongé dans la maladie d'Alzheimer.


La pute se sert partout. Et laisse au plus grand amour quelques heures par semaine. Le moment des visites dans une maison de retraite, entre deux infirmières sirupeuses. Te recrache sur le pavé le samedi soir vers 18h00. Il pleut, il n'y a personne.

Elle me dit dans 3 mois j'ai fini. Je m'en vais et je l'emmène. Est ce qu'elle va faire une connerie ?

 

 

Et ce blanc, juste avant, où l'on évite de penser, éjecté de sa propre vie. Ce n'est la vie de personne, aller visiter son mari dans le pavillon Alzheimer d'une banlieue chic. Quand est ce qu'au premier regard quelqu'un à inscrit Alzheimer dans le générique de fin ? Et quelle passion, quels rires, quelle joie de vivre, quel bonheur échoué là. Où est ma vie ?

Sans lui elle n'a plus de vie, il n'y a de vie qu'avec lui. L'évidence. Je vois bien sur son visage l'intensité d'un désespoir nourri par la passion, celle qu'ils vivent depuis 20 ans. Elle l'enlève bientôt, j'hésite à me sentir soulagée, malheureuse, effarée, je m'effondre en silence.  Qu'est ce qu'elle va inventer ? Elle ne sait pas ne pas l'aimer, le décréter malade impotent inutile, c'est son Homme, elle ne veut pas ne plus l'aimer. 

 

C'est sa peau, son sourire, les rides dont elle a vu apparaître le contour. Les discussions à bâtons rompus le soir avant d'éteindre, les engueulades féroces, les parties de tennis, lui passer la bouteille d'eau, lui arracher son journal, remettre ses chaussures l'une à côté de l'autre, se brosser les dents pendant qu'il prend sa douche, se croiser le matin mal réveillés dans l'odeur du café,  ouvrir une bouteille le dimanche soir et rester tard à parler, se nicher dans l'odeur de son cou au réveil, les détails. Tous les jours, pendant 20 ans. L'amour se niche dans les détails.

Elle ne parle que de lui ne s'en rend même pas compte, il est partout, partout avec elle, elle enfermée avec lui. Elle ira jusqu'au bout. Et après toutes ces années avec un fanfaron, un homme joyeux, éternel amoureux qui lui a inventé le sourire radieux, comblé, complet que je lui connais, face à une pute, la pire, la pire de nous toutes, elle l'enlève, le kidnappe, elle s'en va et l'emmène avec elle.

 

 

Au moment de partir dans la pile de bouquins à donner puisqu'elle vide tout : les armoires, les placards, les bibliothèques j'aperçois Fanfan, opus de ma jeunesse. Un Homme à aimer, être la Fanfan d'un Homme passionné joyeux drôle torturé. Je lui dis sans y penser : tu donnes Fanfan !? Outrée, on abandonne pas Fanfan comme ça... mais pourquoi tu n'as pas aimé ? J'interroge, désespérée. Elle me répond qu'elle l'a adoré.

Je le repose pour lui laisser mais elle n'en veux plus.

Je le prends précautionneusement dans la pile, complétement dévastée. Le prix est en franc encore, c'est un exemplaire qui date de la sortie du livre. J'ai eu l'impression de ramasser les morceaux de son amour,  le grand espoir qu'aimer  inspire, tronçonné en tranches sanglantes et dégueulasses.

Je le garderai pour toi, j'ai murmuré.

Recrachée sur le trottoir. Je suis restée longtemps seule sous la pluie. Bloquée au passage clouté. La tête penchée, perdue, ailleurs. Je regardais sans comprendre le bonhomme qui devenait vert puis rouge puis vert encore puis encore rouge. Une fille a fini par passer, qui avait 20 ans, quelques mois à Paris à peine. Ses fringues ça allait jusqu'au chapeau, mais le sac était une erreur fatale . Une erreur fatale de provinciale. Paris, la pluie, la vie. 

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