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Monter, descendre ... ça glisse pareil.
7 juillet 2009

Le petit lapin en sulfure

Je ne connais pas une personne qui aime les déménagements. Pas une. Moi non plus d'ailleurs j'aime pas ça. Moi aussi ça me fait chier. Parce que plus t'avances, moins t'avance. Plus tu remplis moins ça se vide sans compter ce que tu fous de côté parce que tu dois trier, les trucs que tu pètes parce que t'as refermé le carton trop vite mais au bout de 4 heures on ne saurait t'en vouloir sauf que ayé ce truc adorable et unique est pété, les vêtements qui tirent la bourre aux bouquins et attends c'est rien là...rien. Parce que quand t'auras fini le salon/chambre/bureau reste la cuisine. Soit l'enfer du devoir, les assiettes verres bols théières à envelopper soigneusement. La machine à laver le linge et puis toute cette poussière partout à croire que t'as pas fait le ménage depuis 2001.


Sans oublier de ne pas ranger les papiers. Surtout pas on a besoin des papiers, retrouver le bail et l'état de lieux (mouhaha!), gérer son Rémi soit retrouver les 25 millions de docs qu'il faut envoyer, gérer ses dossiers de boulot à envoyer. Bref le merdier, le merdier, LE MERDIER.


Et là tu te dis pourquoi tu fous pas tout à la poubelle à la place ? En moins violent pourquoi tu laisses pas tout tel quel ? Vazzi mec démerde toi pour virer ça et garde la caution surtout ne m'en veux pas. Il suffirai de tout foutre sur le trottoir et ça partirai en moins de deux heures. L'anthologie de la poèsie anglaise datée 55 offerte par une inconnue à une autre inconnue en 74 reliée cuir perdue une fois et retrouvée en mieux puisque annotée chez les bouquinistes des berges de la tamiste, le photophore vert d'être en cuivre avec ses pampilles en toc chiné une misère et que j'adore d'être aussi fier malgré son aspect pitoyable, la sculpture en fonte de 15 kilos offerte par un copain forgeron, les 12 000 cartons de bouquins que je me promets de retrier à l'arrivée, les caisses de journaux que si mon frère sait ce qu'il y a dedans il va me tuer, déménager des journaux, franchement, l'édition du monde datée du jour de la mort du pape, celle de la mort de Pinochet, le lapin ridicule lapin sulfure...ou est le lapin d'ailleurs ?


Ou est mon lapin ?


Au milieu du bordel chercher un petit lapin en verre qu'on se souvient avoir changé de place surement pour une raison typiquement féminine, ne pas avoir l'air cruche avec son lapin en sulfure face à l'homme de ses rêves, lequel n'a pas une tronche à comprendre le lapin en sulfure. Mais finalement à l'aube d'une ère nouvelle, perdue au milieu de la poussière, des cartons, un morceau de scotch collé à la culotte puisque les cartons se font rituellement en culotte et les milliers de pièces roses dont on retrouve inlassablement des poignées entières dans n'importe quel tiroir, les tas de fringues et de torchons en paquet au milieu du tout, perdue dans cette surabondance consumériste tout ce qui compte d'un seul coup, plus que le bouddha en argent que l'on vient de caser soigneusement dans un sac, plus que les bijoux de famille qu'on vient de retrouver, plus que le passeport jamais renouvelé et égaré depuis l'échec des fugues rêvées, la seule chose qui compte c'est le petit lapin en sulfure.



Plantée au milieu de la pièce les larmes au bord des yeux, après avoir soulevé chaque meuble arpenté chaque recoin le petit lapin en sulfure toujours porte disparu qu'on ne regardai plus jamais et dont un jour on a eu honte devient le seul objet que finalement on aurait emporté. Et on a honte d'avoir eu honte de ce malheureux lapin qui n'a jamais rien demandé à personne et qui était réalise-t-on trop tard indispensable à la cohésion de l'étagère.

Fatigué et tremblant le regard se perd sur un paquet celui là même qui contient les morceaux d'un autre objet celui si beau et unique qui n'avait pas l'air si fragile parce qu'on ne le regardait plus depuis des années et que dans la hâte d'avancer on a cassé plus tôt. Et d'un coup l'absence du petit lapin en sulfure, le bris d'un objet rare rappelant lui même les malheurs d'une magnifique théière en barbotine arrivée en miettes à destination quelques 15 années plus tôt finissent de vider les quelques forces encore maintenues en réanimation pour la suite du déménagement.

Il n'y a plus qu'à s'asseoir par terre, toujours en culotte, rouler une clope  hésiter sur le fait de ne pas boire une bière et soupirer après l'homme qu'on a pas pour les coups durs telle la disparition d'un petit lapin en verre, souffler après l'argent qu'on a pas pour louer des déménageurs qui eux ne casseraient rien et torcheraient 30 mètres carré en 48 heures, pour louer quelqu'un qui ferait l'état de lieux à sa place, et finalement pour faire les papiers les cartons déménager à votre place et pourquoi pas tiens vivre votre vie à votre place.

Assise en tailleur par terre,  éparpillant les cendres de ma clope au milieu du très diabolique Déménagement courant après un objet inutile, encartonnant des années d'émotions littéraires et cinématographiques, me remémorant les déménagements antérieurs, redécouvrant en le cassant le fragile et le précieux, dépoussiérant le tout avec l'impression d'avoir les cartons sur les épaules ramassant soigneusement les preuves accumulées de ma propre existence. Alors qu'elles s'avèrent si précises, si  explicites, si exactes sur l'identité de leur propriétaire, surtout dans l'émotion que suscite inopinément la disparition d'un petit lapin en verre, je n'ai finalement pas envie que quelqu'un d'autre vive ma vie à ma place, mieux encore, je ne veux pas d'autre vie que la mienne. 

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