Le bruit de la machine à glaçons

J'aime bien ce bruit. Comme j'aime le bruit des verres qui s'entrechoquent quand on les sort de la machine, en se brulant de préférence. J'aime bien qu'on me hèle de loin. "Tu me tapes 2 bières s'il te plaît". Et le speed. Les tranches de citron qu'on attrape avec les doigts, pas le droit mais pas le temps de faire autrement. Le ras le bol de devoir faire un café, un thé un chocolat alors que merde on est dans le jus. Il est 23h48 dans 10 minutes j'éteins la machine mffff. J'aime bien. Les cendriers pleins passer entre les tables prendre les commandes, m'agacer un peu  de cleints qui savent pas ce qu'ils veulent parce que HO j'ai pas le temps ! Attraper les bouteilles servir les verres sous le regard des clients au bar. Encaisser faire sonner les pourboires. De temps en temps prise par l'agitation et l'ambiance chantonner. Stop aux pressions 4 pintes à faire, mini break, et c'est reparti.


Je rentre pliée en 4 avec les tendons qui crient famine. Les converses c'est zéro pour le service, je me couche à 6 heures je dors toute la journée ou presque. Levée 14-15 heures et à 17 heures c'est reparti. J'aime bien partir travailler à l'heure ou les autres sortent du taf. Parfois avoir eu l'après midi pour zoner au bord de la piscine. J'arrive au taf j'aime les odeurs pourtant bizarres, citrons acides, relents de bière, éponges. Le pschitt des bouteilles que je décapsule. Les gens contents d'être servis. Quand j'ai le temps j'écoute ce qu'ils racontent. Tu vas halluciner. Ils parlent d'amour tout le temps, de travail rarement, de la vacuite d'être en vie, parfois, ça arrive très tard le soir. Ca se conclut toujours sur une note positive. On y arrivera de toutes façons.



Quand je me pose deux secondes le temps d'allumer une clope pour qu'elle se consume toute seule en attendant que les tartes chauffent j'ai même pas le temps de penser à ça. Je pense aux clients. Je viens d'allumer une clope et y en a 4 qui débarquent en terrasse tant pis pour la clope j'oublie les tartes qui crament un peu. Je les sers à la volée. J'aime bien. Rendre la monnaie me prendre la tête pour additionner les tickets. Envoyer balader un mec qui vient parler à la fermeture. La fermeture l'épreuve du feu. Tout plier tout ranger tout nettoyer en 40 minutes. En terrasse ils partent pas ils parlent. En salle ils payent pas et on s'agite on s'agite on s'agite.


La patronne qui vient bosser et qui essuie les verres. Elle aime bien ça. La prochaine fois que je la vois elle va me plier parce que je le fais pas. On rigole parce qu'elle est là. Elle est drôle et sympa. Parfois elle passe à toute vitesse je me demande ce que ça fait d'être proprio de bar. En dehors des emmerdes. Etre sur place 2 heures par jour. Passer le soir et voir son bar plein avec le service qui glisse en allant prendre l'apéro avec ses potes. Elle doit se sentir bien pourvu que ça roule. Elle me fait salut de loin mais déjà je suis repartie. La machine à café qu'il faut nettoyer. La bouteille de vin à ouvrir à la vitesse de l'éclair. Le plateau. 4 verres pleins putain je déteste servir au plateau. L'air d'un canard en prenant le truc à deux mains. Ca tremblote. Pitié faites que rien ne se casse la gueule.



J'aime bien. Quand je sors il est tard et je rentre à pattes, je croise tout ceux qui ont été servis ailleurs, en chiffon. J'aime bien travailler la nuit c'est comme si on avait deux vies. Celle de la journée et celle de la nuit. Si t'es courageux ou si tu bosses pas le lendemain tu seras peut être debout le matin. Et toute la journée pour aller à la piscine, glander faire tes papiers. Profiter un peu des potes. Une vie un peu meilleure pour moi. Enfin nettement meilleure que le bureau et son enferment continuel. La prison avec toujours les mêmes gens. Là au bar si j'étouffe je fais deux pas dehors, sur la terrasse. Une table vient d'être liberée voilà des habitués. Des gens nouveaux tout le temps. Deux bières. C'est cool ça les bières. Je les tire en chantonnant du Manu Chao. La machine à glaçons ronronne. Ce soir je finis à une heure si je me dépèche je verrais peut être ma soeur.