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Monter, descendre ... ça glisse pareil.
25 décembre 2009

Putes

"Avant de m'emmener en salle d'opération on m'a posé des questions, on voulait savoir si j'étais consciente de mon choix. J'ai répondu que pour certaines personnes, comme moi, la question du choix à faire ne se posait pas parce qu'elles étaient tout simplement guidées par la voix du néant"


La femme magique qui a écrit cela, celle qui savait poser des mots sur moi, est morte.



La première fois que je l'ai vue, énervante de beauté, agaçante d'intelligence, crépitante d'une féminité qui mettait à mal la virilité du petit comité d'hommes auxquels elle s'adressait cela devait être chez Lefait. Une belle intellectuelle, à l'évidence elle n'était donc pas française ; à l'évidence je la détestais, sans trop savoir pourquoi, je zappais. Elle s'est pourtant glissée incognito dans ma bibliothèque et elle devint rapidement une de mes voix, la plus belle. La plus précise, chirurgicale, la voix qui sait de quoi elle parle quand elle parle de moi. J'ai cité sous le regard médusé d'un ami qui n'y a jamais rien compris, une de ses phrases comme la plus belle déclaration d'amour jamais écrite :

 

"Ensemble on a fait ce que les amoureux ne font habituellement pas. (...) Si j'ai fait ces choses là avec toi c'est peut être pour aller comme toi au bout de tout, pour fouiller ce qui me restait de virginité en grattant les parois."

 

Elle était déjà morte. Je n'en savais rien et lovée sur ma chaise je la lisais sans prendre le temps respirer, totalement inconsciente que son livre à elle racontait ma suite à moi. Ce que j'en notais de si beau de si terrible de si frappant résumait sans compassion mon passé mon présent et mon futur sans que je puisse m'en inquiéter. J'avais encore la force d'estimer que quand bien même elle parlait pour moi je n'avais pas à me sentir concernée.


Il n'y a qu'une pute pour écrire ça, qu'une autre pour estimer que c'est la plus belle phrase jamais écrite sur l'amour.

De toutes façons il ne restait rien à gratter sans quoi elle ne serait pas morte.



Je me demande pourquoi elle a démarré sa carrière en écrivant un livre sur son passé, car il n'y a pas d'expérience de prostituée comme on ferait caissière en attendant de se reconvertir, il n'y a que des vies de pute. Comme si son physique son attitude, son expérience ne suffisaient pas...comme si elle pensait que la rédemption existait, comme si on pouvait se détacher de ce que l'on est. Comment et par quoi on a été inventé en le couchant sur des morceaux de papiers. Pourquoi elle s'est jetée en pâture comme ça à la tête d'une masse arrogante d'être ignorante et qui n'attendait que ça pour débiter un si belle chose en tronçons et la réduire à néant ?

Comment a-t-elle pu penser une seule seconde que les hommes, surtout les hommes qui ont un instinct infaillible pour débusquer les corps objectivés et celles qui s'amusent par ce biais à échapper à leur petit monde ou  tout leur est soumis en premier lieu le corps des femmes, pouvaient l'aimer, pourraient lui pardonner plutôt que l'achever ? A-t-elle vraiment cru qu'elle aurait une deuxième vie avec déclarations d'amour, cuisine équipée et gamins s'égayant dans les jardin ? A-t-elle cru vraiment qu'un jour un viendrait qui ne la sortirait pas mais sortirait avec elle ? Qui lui prendrai la main en public plutôt que de la regarder de loin l'air satisfait d'avoir la pouffe assortie à sa vie ?

Et le soir, inspection générale et elle voyait les mêmes choses que moi. Quand moi je me  sermonne pour ne pas oublier quand viendra, rapidement, le temps du crépuscule de mes charmes d'en abuser pour entortiller qui me sera utile ou voudra me collectionner, elle, moins résolue, plus tendre peut être pouvait se dire personne, bientôt les hommes ne poseront même plus un regard sur elle, même pas pour la sauter, alors l'aimer... Quand le corps d'une femme vient à faire défaut  au 21es, alors c'est foutu, on est bonnes pour la casse.

A la suite d'une vie sans amour, une vie sans désir ? Une pensée intolérable pour qui n'a jamais su ce qu'est l'amour, a toujours gratté sur le désir.

 

 

L'amour la récompense pitoyable, le susucre à celles qui d'origine se soumettent, à croire que c'est inné.
Elle avait le monde entre les mains, du talent, les hommes à ses pieds soit le pouvoir absolu et à tout cela elle aurait préféré un susucre, même un minuscule susucre mais le sien à elle.


Comme je la comprends.

 

 

 

C'est quoi le regard d'un homme amoureux ? C'est comment dans le matin qui s'éveille ? Ca fait quoi un homme amoureux ? Ca parle comment ?  Ca fait quel effet d'être aimée ? Peut on mourir de ne jamais avoir la réponse à cette question ?

 

 

 

Peut on accepter de mourir sans jamais avoir la réponse à cette question ?

 

 

Nelly Arcan, en tout cas, a eu le courage de le faire.

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